L’expérience de Milgram

L’expérience de Stanley Milgram vous en avez entendu parlé, vous l’avez abordé sans doute brièvement dans quelques articles journalistiques, mais Vergi va vous la décrire.

Milgram c’est l’opposé de Jiji Rousseau. Jiji pensait que l’homme (l’être humain) était naturellement bon et que c’était la socialisation qui le rendait mauvais. Milgram, lui s’est réveillé un matin, l’œil enstuqué, du sable plein les paupières et l’esprit retourné : voui, voui, voui, je vous le dit l’être humain est pourri et sans la socialisation et la peur des sanctions qu’elle a généré les humains seraient sadiques.

Alors il décide de monter une expérience pour tester son hypothèse.

Bon, alors là, il faut planter le décor. Imaginez, on est dans les années 60 aux Etats-Unis, c’est la guerre froide. A la télé, passe les premiers épisodes des « Mystères de l’ouest » et de « Star trek ».  Tout est kitch à souhait. Alors t’imagine un labo en carton pate, des ampoules (pas de leds à l’époque ni de miniaturisation) colorées qui clignotent, des gros boutons à tourner, du métal pour faire pro…

Une fois ça posé, tu prend comme une petite chambre coupée en deux par une fine cloison. D’un côté, dans un grand fauteuil sera assis un sujet, pas un hamster mais un cobaye, avec des électrodes partout. Ah oui, l’expérimentateur ne voit pas le cobaye mais il l’entend.

De l’autre côté de la cloison,  il y aura un expérimentateur. Il sera placé devant plusieurs manettes pour… non, je vais y venir.

En fait, il faut comprendre que contre toute attente le cobaye est l’expérimentateur et l’expérimentateur est le cobaye. Si c’était simple à comprendre ce ne serait pas drôle. En fait, bis, celui qui est assis avec ses électrodes est un faux sujet d’expérience. C’est un comédien qui est assis. Il va faire semblant de réussir la tache qui va lui être attribuée… ou de se tromper. Il va devoir apprendre des listes de mots et lorsqu’il se trompe lorsqu’il répète la liste, il est sanctionné par un choc électrique.

Si tu as suivi, celui qu’on prenait pour l’expérimentateur est donc le vrai sujet de l’expérience. A chaque fois que le cobaye va se tromper dans la tache qui va lui être attribuée, il va devoir le punir. En actionnant les manettes. Ce qui aura pour effet de générer un choc électrique à l’autre personne. Il y a le choix, chaque manette va de 15 volts en 15 volts. Ca va jusqu’à « choc électrique mortel ».  Carrément.

Il faut préciser, ce qui est le plus important, que dans le dos de notre vrai sujet, il y a une personne qui est la caution scientifique. Présenté comme une personne qui a monté l’expérience, elle va conseiller sur la sanction à faire subir. C’est aussi un acteur.

Les vrais sujet sont tous des hommes de 20 à 50 ans issus de tous types de milieux. Avant l’expérience, chacun s’est assis dans le fauteuil et a reçu un petit choc électrique du plus bas niveau afin qu’il prenne conscience de ce qu’il peut faire subir à l’autre personne.

Bon l’expérience commence.

L’expérimentateur tente donc de faire apprendre une liste de mots au (faux) sujet. Lorsqu’il se trompe, l’expérimentateur actionne une manette, qui fait réagir (faussement bien sûr) le sujet : à partir de 75 V il gémit, à 120 V il se plaint à l’expérimentateur qu’il souffre, à 135 V il hurle, à 150 V il supplie d’être libéré, à 270 V il lance un cri violent, à 300 V il annonce qu’il ne répondra plus. Or une absence de réponse est évaluée comme une mauvaise réponse.

En général, à 150 volts, l’expérimentateur hésite voire veut arrêter l’expérience. C’est alors qu’intervient le (faux) savant derrière lui, celui qui sait, le détenteur de l’autorité. Il affirme que quelques soient les conséquences de l’expérience, ce n’est pas celui qui actionne les manettes qui sera tenu pour responsable. Et si il hésite encore, le savant lui donne l’ordre d’actionner la manette. Il existe 4 types d’ordres :

  1.  Veuillez continuer s’il vous plaît. »
  2. « L’expérience exige que vous continuiez. »
  3. « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »
  4. « Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer. »

Si malgré tout le sujet refuse de continuer, l’expérience s’arrête.  Mais si le sujet expérimentateur accepte de continuer de punir l’autre personne, l’expérience s’arrête lorsqu’il a actionné 3 fois la manettes de 450 volts, soit le maximum possible…. en général dans une bonne crise d’anxiété.

Après l’expérience, le sujet expérimentateur passe un questionnaire afin de comprendre pourquoi il a continué et il rassuré sur le fait qu’en vrai aucune décharge électrique n’a été administrée.

En fait, Stanley Milgram a toujours postulé -il faut bien que je vous manipule un peu- sur le fait que c’est l’éducation qui poussait à ce type de comportements. Pour lui, nous apprenons à obéir dès notre enfance et tout le système social est organisé pour que nous obéissions ne serait-ce qu’à une idéologie dominante. Cette obéissance est renforcée lorsqu’il y a perte de la responsabilité personnelle et que nous sommes face à une autorité sans possibilité de nous tourner vers l’extérieur ou quelqu’un d’autre. D’ailleurs, lorsque Milgram a refait son expérience en laissant le niveau de décharge à la bonne volonté du sujet, les décharges sont restées de niveau faible dans la plupart des cas.

Néanmoins Milgram a été très critiqué. En effet il n’a pas vraiment respecté son propre protocole, l’ordre de dépasser la dose léthale étant parfois donné 20 fois au lieu des 3 prévu. Stanley a refait son expérience de nombreuses fois et ses résultats ont été très hétérogènes entre les expériences. Certains sujets ayant été jusqu’à émettre des doutes sur la réalité des décharges et/ou des souffrances qu’ils infligeaient (le sujet emmerdeur parfait qui te fait rater toute une expé).  Il a été aussi postulé que l’anxiété ressentie par les sujets expérimentateurs pouvaient être une des raisons de leur comportements, l’anxiété était tellement grande qu’il fallait une soupape de sûreté et il fallait faire quelque chose, « agir ».  Or il y avait plusieurs autres façon d’agir, ne plus obéir, partir, mettre son poing dans la tronche du savant fou… On a aussi reproché à Milgram de comptabilisé les personnes qui l’arrangeaient bien. En effet, certaines personnes après avoir pris eux mêmes la petite décharge on refusé d’administrer une telle sanction au sujet et d’autres encore n’ont pas eu besoin de tester quoi que ce soit, le simple fait de savoir qu’ils allaient devoir faire souffrir quelqu’un ne les a pas fait adhérer au protocole. Le fait que certains sujets aient été poussés jusqu’à tuer quelqu’un, même si on leur disait après que ce n’était pas réel, a interrogé sur les risques psychiques à plus ou moins long terme et a permis de poser des bases d’éthique.

 

Néanmoins, cette expérience a été réalisées de nombreuses fois depuis les années 60 et à chaque fois on obtient au moins 65 % d’obéissance à l’ordre de continuer en administrant une décharge mortelle électrique. Et dans certaines variantes, on arrive même à 80 %. Lorsque le cobaye qui doit recevoir les décharges est une femme et que le sujet expérimentateur est un homme, le niveau d’obéissance descend sous les 30 %. Néanmoins, cette expérience et ses variantes ont permis de démontrer que lorsqu’une personne délègue sa responsabilité à l’autorité il perd son autonomie et il peut alors l’agent d’une volonté étrangère. C’est ce qu’on appelle l’obéissance aveugle.

L’expérience de Stanley Milgram à donné lieu au film « Expérimenter » en 2015.

(J’ai oublié de vous dire que vous trouvez dèsormais tout en haut de ce blog une nouvelle page : tranches de vie. Vous pourrez venir y témoigner, raconter votre vécu, vos projets, votre psychothérapie, bref ce qui vous concerne).

milgram

 

 

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11 réflexions sur “L’expérience de Milgram

  1. Ça fait froid dans le dos… (une ptite décharge pour se réchauffer ?! \o/)
    L’autorité, la manipulation, l’anxiété qui paralyse la réflexion personnelle et la prise de position, ça fait de l’écho là-dedans…
    Je constate, à moins d avoir lu trop en diagonale, qu il n est pas fait état d’ « expérimentateurs ravis d’infliger des chocs », quelque part l’Homme n’est donc pas si pourri que l’expérience est censée le démontrer. (ou alors j’ai rien compris et en plus j ai du mal à m exprimer… bon je retourne dans ma grotte x) )

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  2. Je connaissais … certains films l’ont déjà prouvé ( une histoire en prison … ) ….
    Cela fait peur … mais l’emprise des autres ,l’autorité,…hélas, c’est tellement réel !
    Cela me fait penser à une chanson de Goldman : né en 17 à Leidenstadt … qui aurait fait quoi ???
    Prendre position, oser dire NON , et être soi … sans tabou, sans « éducation », …
    Qui sait ce qu’il est vraiment capable de faire ???

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  3. J’ai étudié cette expérience en cours de psycho pendant mes études (tardives lol) et de prime abord toute la promo s’est dit que bien sûr jamaiiiis on aurait appuyé sur les boutons, mais en fait… Dans le contexte, on en sait fichtre rien. J’espère que l’idée même de faire souffrir quelqu’un m’aurait rebuté mais… vu que mes parents ont installé à la fois une bonne dose de soumission à l’autorité en moi et à la fois leurs violences m’ont donnée un dégout de tout acte violent. Alors je ne sais pas malheureusement.

    (Vergi, merci pour ce nouvel espace)

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  4. D’après Milgram, les gens envoie le choc électrique parce qu’ils en ont reçu l’ordre, la responsabilité est reporté sur celui qui donne l’ordre. A ce moment le cobaye est soumis à une épreuve, il doit, soit, agir selon ses valeurs, soit, se reposer sur l’autorité. Malgré tout c’est le cobaye qui appui sur le bouton, c’est son geste qui importe, j’ai du mal a comprendre comment on peut faire du mal gratuitement a quelqu’un en toute connaissance de cause puisqu’ils entendent crier et comment on peut se décharger d’une telle responsabilité…..

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    1. Les soldats allemands ne faisaient pas mieux. Parfois ils ètaient contre ce qu’ils faisaient, ils entendaient ou voyaient les souffrances, mais on leur donnait l’ordte. Or face à une autorité nous avons été dressés à obéir, encore plus dans l armée. On reporte sur la hièrarchie la responsabilité ce qui permet de se libérer la conscience, il y a aussi derrière tout cela le besoin de faire plaisir au chef, à l autorité, au parent de substitution et sans doute une peur des représailles (si on peut tuer un cobaye pourquoi pas l expèrimentateur ? ).

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  5. La peur des représailles….Je n’y avais pas pensé mais c’est sur que vu comme ça.
    Il faut que je retrouve mon bouquin d’hannah arendt sur la banalité du mal, je ne m’en souviens plus vraiment et ce sujet m’intéresse beaucoup. Par contre je ne suis pas sur que ça m’intéresse par pur curiosité, je crois que j’essaie juste de comprendre comment certaines personnes en sont arrivés à s’en prendre à moi, est ce que comprendre s’est chercher des excuses?

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    1. Oui c est chercher des circonstances atténuantes. Mais en fait ça n a aucun intérêt. Ok tu pourras pardonner (ou pas) maiq ca ne changera pas le passè ni ce qui a été fait.

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      1. Je ne suis pas d’accord. Pour moi, comprendre ça permet de choisir de pardonner ou non. Le pardon rend la continuité de la relation possible….En revanche c’est sûrement insuffisant, je crois que pour s’en sortir il faut accepter que cela (la violence) ait été et se donner le droit de vivre l’avenir pleinement malgré tout. Un jour on se retrouve avec un passé qui n’envahit plus le présent et encore moins l’avenir. C’est possible.

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        1. Ce qui moi me semble essentiel c’est d’accepter qu’on n’a pas été aimé(e), pas protégé(e), qu’on a été traité(e) différemment du reste de la fratrie, bref que les parents ont fait le choix de nous sacrifier.

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