Livre : « Câlins assassins »

« Câlins assassins » de Delphine Paquereau, Ed. Max Milo, 2016

Calins-ains

Tout d’abord merci aux éditions Max Milo. J’ai été surprise de constater que c’était un livre épais (250 pages) et écrit petit. Voila une personne qui a des choses à nous dire ! (mais si je peux me permettre Mme Paquereau, le titre n’est pas assez informatif sur le contenu de votre livre, c’est dommage car cela pourrait passionner bien des lecteurs et lectrices potentiel(le)s). Ensuite voila un livre qui m’a tenue éveillé tard (ou tôt question de point de vue) et que j’ai lu sans m’arrêter.

Alors je résume d’abord. Delphine a été une petite fille désirée après la naissance de 2 garçons. Une mère semble-t-il ravie d’avoir enfin une fille, tellement ravie qu’elle va s’en occuper… sérieusement. Tellement sérieusement que la santé de la petite fille va devenir non pas une préoccupation mais une occupation. De médecins en médecins, de services hospitaliers en services, d’examens en examens et d’opérations en opérations. Car la petite Delphine va subir l’acharnement de sa mère, un acharnement « pour son bien » qui lui vaudra de subir tout cela pour rien. Jusqu’au jour où enfin un médecin va avoir un doute et poser une hypothèse qui va s’avérer réelle, la mère de Delphine est atteinte du syndrome de Munchausen par procuration (SMPP). Ce syndrome consiste à faire passer ses enfants pour des malades, voire à les rendre malades, pour qu’ils soient pris en charge médicalement ou chirurgicalement afin de passer pour une « bonne mère » dévouée et attirer l’attention sur soi (héroïsme). Dévoilée la mère de Delphine va être obligée de mettre un terme à ses exactions, même si la tentation est grande de recommencer, surtout lorsque Delphine à son tour va enfanter une petite fille.

Le livre est divisé en deux parties :

  • la première est plutôt médicale. Delphine Paquereau y raconte ses passages entre les mains médicales et l’obsession de sa mère. Mais surtout elle nous fait part des divers rapports médicaux qui intéresseront tout particulièrement les professionnels de santé et de santé mentale. Lire comme tout cela s’imbrique, comment des professionnels s’appuient plus sur les dires d’une mère que sur les rapports médicaux pose sérieusement question. Bien sûr qui remettrait en question les paroles d’une « mère aimante » qui ne veut que le « bien » de son enfant ? Comment pourraient-ils savoir que cette mère n’hésite pas à changer de médecins dès qu’un affirme que tout va bien pour trouver celui qui, dans le doute, proposera une intervention chirurgicale.
  • Dans la seconde partie, Delphine Paquereau nous raconte sa sortie du processus délirant de sa mère et comment elle a grandit, s’est mariée et a eu une petite fille avec toutes les questions qui ont surgit, sa lecture des documents, ses contacts avec les médecins qui l’ont vu enfant et ses rapports à cette mère qui devenant grand-mère va tenter de s’approprier sa petite fille.

Alors dans la première partie, la lecture des rapports médicaux peut un peu freiner la lecture parce qu’on n’y comprend pas grand chose, si ce n’est qu’en fait personne ne trouve vraiment grand chose à cette petite fille mais comme les analyses (ou plutôt les falsifications des analyses) montrent que quelque chose ne va pas et bien la petite fille va subir un acharnement médical.

On se demandera comment tout cela est possible, mais il faut bien comprendre que les médecins ne communiquent pas tous entre eux… surtout quand ils ne savent pas que d’autres sont consultés. Les consultations se poursuivant jusqu’à ce que la mère trouve le médecin qui ira dans son sens, qui la confortera dans son délire.

Ce qui passionnant c’est le vécu de la petite Delphine. On vibre avec elle, on se dit « ce n’est pas possible » et j’avoue qu’arrivée à la page 71 (suspens !) je me suis dit « noooon ! » et j’ai frémis pour la petite Delphine. Mais si, mais si…. Le sadisme de sa mère n’a de cesse que de voir sa fille dans la souffrance. Car, si je m’appuie sur ce qu’écrit Delphine Paquereau, ce ne sont pas les interventions qui intéressent cette mère délirante, c’est de voir sa fille avoir mal. D’ailleurs elle lui demande tout le temps « est-ce que tu as mal ? » car elle doit avoir mal. Delphine devait avoir mal pour que sa mère soit heureuse. La frapper, lui inventer des maladies, la laisser subir des examens douloureux… D’ailleurs dès que sa fille est opérée elle ne s’intéresse plus à elle. Il faut trouver autre chose. Un plaisir sadique sans fin, planifié, organisé, conscient, auquel elle va associer son grand fils, substitut de compagnon. Car bien sur qui dit mère dit père. Où est il ce père ? J’ai rarement croisé la route de personnes dans cette situation mais le père est toujours -comment dire ?- dans la Lune ? Il ne voit rien, participe sans même savoir pourquoi, croit sa compagne sur parole, ne remet rien en cause. Surtout ne pas se poser de questions, surtout ne pas voir…

Il y a une histoire d’argent sous tout ce sadisme. Delphine Paquereau nous l’écrit, il y a toujours eu des problèmes financiers. Sa mère voulait une fille « à tout prix ». Il y a un association argent + sadisme liée aux filles dans cette famille. D’ailleurs la mère le dit mine de rien dans ses mensonges « la grand mère, la tante, la sœur… » toutes les femmes ont le même problème, non pas de maladies, mais d’argent et de violences maltraitantes.

Qu’a subit cette mère ? On ne sait pas, mais on peut imaginer qu’elle même a subit des exactions. Ce qui est faramineux dans cette histoire c’est que personne n’a rien vu pendant longtemps. Les médecins ne se sont pas posés de questions. Pourquoi des infections urinaires à répétitions ? Enfin quoi les infections urinaires c’est un peu comme les verrues plantaires. Une fois, ça arrive. Deux fois ça pose question. Trois fois, quelque chose ne va pas, soit grave dysfonctionnement familial, soit abus sexuel, soit SMPP… Mais ces médecins, dont je ne remets pas en cause les compétences médicales, ne s’intéressent pas à ce que vit leur patiente ni à son environnement, pour eux une douleur = un symptôme physiologique = une action. On souffre dans ce livre avec la petite Delphine coincée dans le clivage de sa mère et son propre clivage. je t’aime si tu as mal, je te rejette si tu vas bien. Si je vais mal tu m’aimes, si je vais bien tu me rejettes. Alors allez mal pour être aimée, mais surtout accepter de souffrir parce que maman m’aime alors. Et ne pas dénoncer car maman souffrirait et serait malheureuse. Quel conflit de loyauté !

Mais un jour, paf, tout est dévoilé. La maltraitance cesse. Delphine s’émancipe et casse petit à petit le lien de dépendance qui l’attachait à sa mère. Mais un mal-être subsiste car dans le déni, Delphine jeune adulte, ne comprend pas ce qui pourrait avoir été traumatisant dans son enfance. Elle comprendra, elle finira par lire aussi qu’en fait elle allait bien et qu’elle a subit tout cela pour rien. Enfin elle prendra peur pour son propre enfant. Peur de ce que sa mère pourrait faire revivre à sa petite fille mais peur aussi de devenir comme sa mère.

L’intérêt de ce livre est de nous faire partager l’autre côté du miroir, celui qu’on entend jamais, le témoignage d’une enfant survivante au délire du mère atteinte du syndrome de Munchausen par procuration.

Pour conclure, c’est un livre très intéressant. C’est un ouvrage aussi sur lequel devraient se pencher bien des professionnels afin de mieux s’informer de ce syndrome parce qu’il faut se rendre compte de la détresse des enfants qui subissent et qui, par quête d’amour, vont corroborer le délire maternel. Merci pour ce témoignage original.

 

 

 

6 réflexions sur “Livre : « Câlins assassins »

  1. Merci pour ce retour de lecture, ça me donne envie de le lire alors que j’ai du mal avec les témoignages à cause de leur véracité justement. Lorsque je lis, je préfère savoir que c’est de la « fiction » ou au moins romancé un minimum. Pour autant, le récit que tu en fais donne envie de s’y plonger…

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  2. Madame Paquereau témoigne de ce qu’elle a vécu dans l’émission « Toute une histoire : Grandir avec un mère atteinte du syndrome de Münchhausen ».

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  3. Bonjour Vergi, oui le titre… Ça a été discuté avec mon éditeur, moi aussi je ne souhaitais pas ce titre. Celui de mon manuscrit été « l’amour sur ordonnance » la couverture aussi d’ailleurs, j’ai eu du mal 😊

    Effectivement la 1 ère parti du livre, les rapports médicaux. Ils peuvent freiner la lecture, mais il me semble indispensable pour mieux comprendre la manipulation, l’acharnement de ma mère, et l’incompréhension des médecins.
    « pour que sa mère soit heureuse »
    C’était déstabilisant, incompréhensible pour la petite fille que j’étais…. Pourquoi maman a l’air contente quand je vais mal ??
    Le père absent, oui complètement. Dominé, manipulé…. Trop long à écrire le concernant 😊

    « qu’à subit cette mère »? Moi aussi, mon éternelle question, j’ai passé bcp de séances en analyse là dessus….

    Merci Vergi, au plaisir d’échanger !

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  4. Bonjour ,

    Je suis tombée sur votre article, et je me demandais d’où vient ce que vous dites sur les infections urinaires à répétition comme signe d’alerte ?
    J’en ai eu une bonne partie de mon enfance…presque non stop de de 5 à 11 ans en fait, avec pas mal d’examens médicaux, beaucoup d’antibio puis résistances, sans cause physiologique, mais avec des analyses positives (et non truquées).
    Je me suis posée la question de leur caractère psychosomatique et je me demandais si vous pouviez en dire plus à ce sujet ? Est-ce que c’est vraiment quelque chose de connu ?

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